dimanche 13 juin 2010

Lire Laferrière à Port-au-Prince

J'ai terminé Tout bouge autour de moi à l'aéroport de Miami. Comme une préparation au monde que j'allais découvrir à Port-au-Prince les jours suivants.

Depuis une semaine maintenant je lis L'Énigme du retour, que ma mère m'a prêté avant que je parte. Et je suis contente de le lire maintenant que j'ai pu sentir le pouls de la ville dans tous ses paradoxes. Je connais les odeurs desquelles il parle, les regards, les bruits et aussi le silence. Parfois ça me fait sourire :
Le klaxon sert à tout. Il remplace parfois le chant du coq. Il secoue le piéton distrait. Il annonce un départ ou une arrivée. Il exprime la joie ou la colère. Il monologue sans cesse dans le trafic. Interdire le klaxon à Port-au-Prince serait de la censure.
 Parfois c'est plus confrontant :

Ils ont construit ces maisons en espérant que leurs enfants qui étudient à l'étranger reviennent prendre en main les affaires familiales. Comme ces derniers refusent de retourner dans un pays plongé dans les ténèbres, ce sont les parents qui se rapprochent d'eux en allant s'installer dans des métropoles où on trouve un musée, un restaurant, une librairie ou un théâtre à chaque coin de rue. L'argent ramassé dans la boue de Port-au-Prince se dépense chez Bocuse ou à la Scala. Les villas sont finalement louées à prix d'or à des cadres des organismes internationaux à but non lucratif pourtant chargées de sortir le pays de la misère et de la surpopulation.
 Ces envoyés des organismes humanitaires arrivent à Port-au-Prince toujours pleins de bonnes intentions. Des missionnaires laïques qui vous regardent droit dans les yeux tout en vous débitant leur programme de charité chrétienne. Ils se répandent dans les médias à propos des changements qu'ils comptent apporter pour soulager la misère des pauvres gens. Le temps de faire un petiti tour des bidonvilles et des ministères pour prendre le pouls de la situation. Ils comprennent si vite les règles du jeu (se faire servir par une nuée de domestiques et glisser dans leur grande poche une partie du budget alloué au projet qu'ils pilotent) qu'on se demande s'ils n'ont pas ça dans le sang - un atavisme de colon. Leur parade quand on leur remet sous le nez le projet initial, c'est qu'Haïti est inapte au changement. Pourtant ils continuent dans la presse internationale à dénoncer la corruption dans ce pays. Tous les journalistes de passage savent bien qu'il faut passer prendre un verre près de leur piscine pour avoir cette information solide venant de gens objectifs et honnêtes - les Haïtiens, on le sait, ne sont pas fiables. Ces journalistes ne se demandent jamais comment il se fait que ces gens vivent dans des villas pareilles quand ils se disent ici pour aider les damnés de la terre à s'en sortir. 

1 commentaire:

  1. allo !
    Dany L. Très beau livre. j'avais hâte que tu lises cela... Lâche pas, tu es utile.
    J'ai vue ta mère aujourd'hui: toujours le sourire !

    RépondreSupprimer